Rezé citoyenne en dialogue sur l’éducation populaire et le sport

Entretien avec José Fradin, éducateur spécialisé dans un Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique (I.T.E.P.). Responsable de l’école de foot pendant 8 ans de l’AEPR Rezé, il en est aujourd’hui le référent technique et il encadre plus particulièrement la catégorie des moins de 11 ans.
José Fradin

Mon engagement associatif porté par les valeurs de l’éducation populaire prend sa source dans deux éléments principaux. Le premier, réside dans le hasard d’une inscription. Celle en 1998 de mon fils souhaitant pratiquer le football (l’équipe est championne du monde !). Le deuxième, remonte à 2002, quand j’ai assisté sidéré, au deuxième tour de l’élection présidentielle opposant Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. Ce fût un véritable choc et je me suis alors promis de m’engager davantage afin de défendre une autre vision de la société.

Or, j’ai vite pris conscience que l’action politique, souvent « appareillée », ne me conviendrait pas. Mon arrivée à l’AEPR a coïncidé avec cette volonté d’engagement. Elle a agi comme un déclic et j’ai su que ma place était là, auprès des enfants, pour contribuer modestement à les amener à devenir des citoyens pensants et portés par les valeurs de l’éducation populaire.

Comment, l’Amicale Laïque de Pont Rousseau, modèle de l’éducation populaire par le sport, a fait éclore cette passion en moi ?

L’AEPR représente 2200 adhérents répartis dans différentes sections : natation, danse, tennis de table, foot… Cette organisation induit d’emblée une démarche collective et solidaire. Toutes les sections ont leur propre autonomie mais reversent une cotisation à l’AEPR. Cela favorise l’équilibre financier et une entraide quand une section a peu d’adhérents : elle ne disparait pas.

Quand j’ai inscrit mes enfants au foot, j’ai été frappé par la super ambiance et la convivialité incroyable qui règnent à l’AEPR. Rapidement, j’ai commencé à m’investir dans le club, en participant aux entraînements. Et je me suis formé pour développer mes compétences. J’ai passé des diplômes reconnus par la fédération française de football. Ma motivation était simple : je trouvais qu’il y avait de belles marges de progression sur le plan sportif dans l’enseignement du foot aux enfants. Je souhaitais donc avoir les compétences requises pour participer à cette évolution.

En parallèle, mon intérêt pour les particularités liées à l’organisation, au fonctionnement, aux relations humaines au sein de l’AEPR ne cessait de croitre, nourri par ce que j’observais : dans les manifestations, les gens avaient une vraie attention à l’autre ; il y avait une entraide incroyable : ceux qui avaient de grosses responsabilités dans l’amicale n’hésitaient jamais à se retrousser les manches pour faire des sandwichs pour les gamins… Ces attitudes, entre autres choses, me plaisaient et m’intriguaient. C’est ce questionnement provoqué par le caractère unique de l’Amicale qui m’a conduit à faire le lien avec l’éducation populaire, à nommer le concept. Il irriguait tout, de façon évidente, sans pourtant qu’on en parle en tant que tel. Il semblait participer d’un inconscient collectif empreint de valeurs très fortes. Alors, je me suis pris de passion pour le sujet qui faisait totalement écho à ce que je portais en moi. Dès lors, pour mieux comprendre le sens de son action, j’ai décidé de questionner l’AEPR sur son histoire, ses valeurs…

Ce qui différencie l’AEPR d’un club classique, c’est le sens de son action, ses valeurs et sa conception de la pratique sportive vue comme le vecteur « l’éducation de tous, pour tous, par tous »

C’est clairement la promotion de l’intérêt général qui est le moteur de l’action à l’AEPR. Elle passe par le souci de l’autre, le développement de l’esprit critique et la mise en œuvre du principe de coopération. C’est en retraçant l’histoire de l’AEPR que j’ai compris pourquoi ces valeurs sont si fortes et prégnantes : dès sa création en 1930, l’entraide a été la clé de voute du projet comme me l’ont dit les anciens de l’amicale. Prenons pour exemple la construction du foyer en 1960. Elle est réalisée uniquement par des bénévoles qui ne manquent pas d’imagination : sa structure est composée de poutrelles que les gens sont allés chercher à la gare de Nantes. Pour les murs, un « emprunt parpaings » a été souscrit auprès de la population et des timbres d’adhésion vendus.

À l’origine, il y a donc une vraie démarche citoyenne et laïque portée par des enseignants qui s’étaient regroupés pour permettre à la population et aux jeunes de faire du sport. Ces actes fondateurs ont ancré l’état d’esprit de solidarité très fort qui perdure toujours dans la culture commune de l’AEPR. Une culture qui intègre complètement dans la pratique sportive les principes de l’éducation populaire. En effet, historiquement, même si cela n’est pas formulé, à l’AEPR, le sport est vu comme le levier de l’émancipation intellectuelle, sociale et culturelle. C’est donc un formidable vecteur de « l’éducation de tous, pour tous, par tous ». Le principe à l’AEPR est que tout le monde à un savoir qu’il peut partager avec les autres. In fine cela se traduit par un rapport horizontal très sain entre les gens alors que notre société tend vers un fonctionnement beaucoup trop pyramidal à mon sens. A l’AEPR, tout le monde est important, chacun est considéré : qu’il s’occupe de monter le stand de frites ou bien qu’il soit responsable sportif : ni plus, ni moins. Je répète à l’envie aux parents qu’il n’y a pas de petites tâches et que chacun peut participer à la mesure de ses possibilités. Le résultat est là quand on organise notre tournoi annuel avec 800 joueurs. Le jour J il y a plus de 50 bénévoles présents dès 6h30 le matin.

La mise en œuvre des principes de l’éducation populaire dans la pratique du foot : une fierté !

En 2007, je suis entré dans un processus de formation dispensée et certifiée pas la fédération française de football (F.F.F.) et entièrement financée par l’amicale. La section football avait alors l’objectif d’obtenir un label de la F.F.F., témoignant de la qualité de l’organisation du club à formaliser un projet pour l’école de football (6 – 11 ans). Nous avons démarré le projet en lui donnant deux dimensions d’égales valeurs : l’une, sportive et l’autre, éducative.

Sur le plan sportif, nous avons défini des modalités d’exercice s’appuyant sur une cohérence affirmée entre les différentes phases d’apprentissages et ce, quel que soit le niveau de pratique de l’enfant.

Sur le plan éducatif, il s’agissait de faire vivre l’éducation populaire dans ce sport avec 3 objectifs : accroître l’autonomie des enfants en développant leur capacité à faire des choix ; les responsabiliser en faisant qu’ils aient conscience à minima de ce qu’un choix engage et les inscrire dans la citoyenneté, car les choix impactent et doivent s’inscrire dans le vivre ensemble. Tout cela en gardant en tête un paradoxe que l’être humain porte en lui : « c’est une nécessité absolue pour lui de vivre avec les autres et pourtant c’est aussi ce qui lui est sans doute le plus difficile ! ».

La formalisation du projet de l’école de football avait bien sûr pour finalité de donner du sens à nos actions.

Ceci posé, nous avons réfléchi à la manière dont il était possible concrètement de faire vivre ces 3 objectifs à l’échelle du football. Les énoncés de principes sont faciles à formuler mais il n’est pas toujours aisé de passer de la théorie à la pratique. Alors comment nous y prenons-nous ?

En ce qui concerne l’autonomie : au début de chaque activité, nous demandons aux enfants d’aider à la mise en place du matériel. Cela les rend acteurs de la pratique et les responsabilise. Nous leur demandons aussi d’organiser eux-mêmes leur propre atelier : ils doivent définir un thème, par exemple le jeu de passes, avec une consigne forte : vous devez coopérer ! Puis on les laisse s’auto organiser et ça marche pour 9 groupes sur 10 ! On constate que les enfants sont hyper inventifs ! Cela prend donc sens pour eux.

Quant à la capacité à faire des choix et à les exprimer : après les ateliers nous ouvrons le dialogue sur ce qu’ils viennent de faire. On donne la parole à chacun pour évaluer ce qu’il s’est passé. Cela les amène à se poser des questions, développer leur sens critique et les enfants sont généralement intarissables ! Dans le même esprit nous les faisons coacher à tour de rôle une équipe ou parfois ils arbitrent.

La citoyenneté, c’est le vivre ensemble. Nous travaillons à développer des valeurs autour de cela. Comment ? En leur répétant qu’ils sont dans un collectif : certains enfants du club ont la chance de faire des tournois très importants avec des clubs professionnels. Mais je leur rappelle devant le groupe qu’ils vont avant tout représenter l’AEPR, leurs camarades et leur catégorie. C’est d’autant plus important que le foot est devenu le plus individuel des sports collectifs. Je souligne que leurs capacités d’accéder au haut niveau leur sont simplement offertes et qu’en aucun cas cela ne leur donne le droit de se montrer condescendant à l’égard des autres. Mon approche de la compétition est un exercice périlleux. De fait, nous sommes inscrits dans un système (la F.F.F.) qui édicte ses propres règles et auxquelles nous sommes soumis. Il y a des classements, des formes d’élitisme, toutes choses très présentes dans notre société et contraires aux valeurs de l’éducation populaire. Ces valeurs sont donc d’autant plus importantes à faire vivre que la compétition peut être soit une folie, soit un élément sur lequel on s’appuie pour faire l’expérience du dépassement de soi et d’un projet collectif. Le vocabulaire a une importance considérable pour développer cet état d’esprit. Je dis souvent aux enfants qu’ils ne jouent pas contre des adversaires mais que l’équipe qu’il rencontre est un partenaire de jeu. Je précise que s’il n’est pas là, il n’y a pas de match possible. Autre exemple, je suis attentif à la bonne articulation individu-collectif car pour qu’un individu existe dans le collectif, il doit y trouver sa place. L’éducateur doit favoriser cela : je donne à chacun des points de progression et je porte une réelle attention aux progrès car cela contribue à l’épanouissement de nos jeunes sportifs. Enfin, la citoyenneté c’est aussi contextualiser, mettre en perspective et partager le même niveau d’information. Donc je parle aux enfants : je débriefe toujours les compétitions du week-end à l’entrainement, je les informe sur les événements du club, je n’hésite pas à les interpeller franchement si un parent exprime une insatisfaction pour comprendre et échanger…

Le sport est un fait politique dans le sens où il contribue de l’éducation des futurs citoyens

Oui, je considère, le sport, notamment collectif, comme un fait politique car il contient en soi la nécessité de se situer dans une organisation structurelle qui peut revêtir de nombreuses manières de faire. C’est tout le sens de mon engagement puisque je contribue à mon niveau à l’éducation de citoyens qui, je l’espère, retiendront quelque valeurs humanistes de l’éducation populaire. La démarche de Rezé Citoyenne quant à une démocratie participative plus affirmée me paraît aller dans le bon sens. Je repense aux enfants qui désignent celui qui aura la coupe en premier à la fin d’un tournoi. Je leur demande de trouver d’autres critères que d’être le meilleur buteur ou le joueur le plus fort. Dans 95% des situations, il trouve toujours d’autres indicateurs pour choisir et ils arrivent à dégager un consensus. Si les enfants y arrivent, pourquoi pas les adultes ?

Pour conclure, je veux souligner un dernier point qui me tient à cœur : la mixité sociale que permet le football. Rares sont les sports qui peuvent le revendiquer de manière aussi forte. L’image de ce sport est souvent regardée par le prisme du foot business et médiatique. Bien sûr il y a des dérives y compris dans le football amateur. Il est aussi le reflet de la société. Pourtant, je suis convaincu de son utilité, de surcroît lorsqu’il est pratiqué en y mettant du sens comme s’y efforce l’AEPR. J’ai en mémoire nombres de jeunes pour qui cela a été un appui essentiel dans leur évolution.