Rezé Citoyenne en dialogue sur la participation des enfants à la vie de la cité

Entretien avec Jean Le Gal, ancien instituteur spécialisé et universitaire, chercheur et formateur sur la participation démocratique des enfants.

Jean Le Gal a démarré sa carrière d’instituteur à Bouguenais Les Couëts, et l’a poursuivie à l’école publique élémentaire de Ragon à Rezé, en tant qu’instituteur spécialisé. Praticien de la pédagogie Freinet, puis maître de conférences à l’IUFM de Nantes, il a aussi été chargé de cours à Paris X-Nanterre et de la formation d’éducateurs spécialisés et d’éducateurs de jeunes enfants. Il a mené des recherches sur l’organisation démocratique de la classe coopérative et sur l’autogestion au sein du mouvement Freinet. Depuis l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant, il est chargé de mission aux droits de l’enfant et à la citoyenneté de la FIMEM (Fédération internationale des mouvements d’École moderne) et anime des formations-actions pour la promotion du droit de participation démocratique des enfants avec des enseignants, des animateurs, des familles. A Nantes, il crée et anime des ateliers pour « le café des parents ».

Jean Le Gal

Quand on parle d’éducation des enfants à la citoyenneté, de quelle citoyenneté parle-t-on ?

L’histoire nous montre que la notion de citoyenneté a toujours été source de conflits entre des conceptions diverses et des groupes sociaux opposés. Pour moi, un citoyen actif et responsable doit faire entendre son avis, proposer des projets et des solutions aux problèmes, s’associer aux débats et aux prises de décisions concernant les actions et l’élaboration des règles de vie collective et assumer des responsabilités. La participation démocratique des enfants dans la ville va dans le sens de cette citoyenneté participative. Elle s’appuie sur la « Convention Internationale des droits de l’enfant » (CIDE) qui lui reconnaît le droit d’exprimer librement son opinion, d’être pris au sérieux et d’être associé au processus décisionnel. L’assemblée parlementaire du conseil de l’Europe, en 2009, déclare : « la participation est un droit fondamental du citoyen, et les enfants sont des citoyens ». L’éducation à la citoyenneté doit être cohérente avec la société que l’on veut construire. Quand j’ai institué l’autogestion dans ma classe, j’ai travaillé en coopération avec des ouvriers, des paysans et des chercheurs engagés dans ce choix de société.

Comment peut-on agir à l’échelle d’une ville comme Rezé ?

La Charte-agenda des droits de l’Homme dans la cité, adoptée en 2011 par le congrès mondial des « Cités et Gouvernements Locaux Unis » reconnaît le « Droit à la démocratie participative ». La Cité doit promouvoir « la participation des enfants dans les affaires les concernant ». La ville est l’acteur le mieux à même de réaliser ce projet éducatif et politique. Elle doit dégager du temps et des moyens. Elle pourrait d’abord lancer une campagne d’information sur la Convention des Droits de l’Enfant, et faire afficher le texte dans tous les lieux dédiés. En effet, les textes existent, mais ne sont pas forcément connus et reconnus… En formant les élus, les services et les instances d’animations, les professionnels du périscolaire et des loisirs, la ville assurera une cohérence des actions. Recenser les expériences démocratiques qui existent déjà est crucial (dans les familles, le périscolaire, l’Arpej…). Les enseignements que la collectivité en retirera lui permettront de soutenir les projets existants, et d’en initier d’autres. Pour cela, il faut permettre aux différentes structures de se mettre en lien, organiser des temps de rencontre, pour mettre en commun les différentes pratiques, enrichir les propositions et créer des réseaux de coopération et de recherche. La municipalité agit dans le cadre du « projet éducatif territorial » (PEDT). Par « territoire », on entend regroupement d’acteurs locaux : enseignants, enfants, élus, animateurs, etc. La création du PEDT devrait être élaborée avec la participation de tous ces acteurs. Le PEDT de Rezé devant être finalisé en août 2020, il serait important d’en demander le report afin de pouvoir mobiliser pleinement toutes les parties concernées.
La ville a un grand rôle à jouer. Il faut, évidemment, une réelle volonté politique. Les élus concernés, doivent pouvoir bénéficier d’une vraie marge de manœuvre pour mettre en place les processus, les coopérations et les institutions nécessaires, pour une réelle participation démocratique des enfants.

Comment former les enfants à la défense de leurs droits ?

Quand on sollicite les enfants, qu’on leur permet de s’exprimer librement, on constate qu’ils ont beaucoup plus de compétences que celles reconnues généralement par les adultes. Il est donc nécessaire, sur la base du volontariat bien sûr, de mettre en place des conseils d’enfants, au sein des écoles et de toutes les structures qui les accueillent. Il faut travailler avec les enfants sur les différents niveaux de participation, de la consultation à la co-construction et à la co-décision … définir dans quel cadre leur rôle peut s’épanouir : sur quels sujets ils pourront décider seuls, sur quels sujets ils pourront décider avec les adultes, quels sujets ne sont pas négociables, donc ceux sur lesquels ils ne participeront pas au processus décisionnel.
Depuis 2014, un Protocole facultatif de la CIDE offre aux enfants la possibilité d’un recours international en cas de violation de leurs droits. Les enfants doivent être formés à la défense de leurs droits dans le cadre de l’éducation à la citoyenneté. Ils en prennent d’ailleurs souvent l’initiative spontanément. Ils ont un droit de manifestation pacifique et de pétition.

Il existe une réelle frontière entre ce qui dépend de l’action gouvernementale, et ce sur quoi la ville peut agir. Comment peut-on dépasser et bousculer ces codes ?

La ville ne peut pas intervenir sur le temps scolaire. Par contre, les enseignants, comme en témoignent de nombreuses expériences, peuvent créer des conseils d’enfants, au niveau de leurs classes ou de leur école. Ils peuvent aujourd’hui s’appuyer sur la Convention Internationale des Droits de l’Enfant. Pour pouvoir accompagner ces initiatives, la ville devrait pouvoir signer un protocole d’accord avec l’Inspection académique, comme cela a été le cas, dans les années 90, à Nantes.
Le Projet Éducatif Local (PEL) de Rezé, préconise de « faire des enfants acteurs de la cité en les associant aux projets et aux décisions ». Il propose des pistes d’actions à mener. Il serait important que le PEDT reprenne ces orientations.
Dans le cadre du PEL, en 2013, s’est organisé un temps fort sur la place des enfants dans la cité, en sollicitant de nombreux acteurs. Il en est ressorti qu’il ne fallait pas faire les choses « pour les enfants », mais « avec les enfants ». Le principe « Rien pour nous, sans nous » est mis en place un peu partout dans le monde pour les enfants en difficulté. Cet adage peut bien sûr s’appliquer à tous les enfants. Pour les décideurs, il s’applique aussi : « rien pour eux, sans eux ».

Quel regard portez vous sur ce qui a été fait à Rezé sur le sujet ?

En 2006, quand Jacques Floch était maire, nous avions organisé une quinzaine de la citoyenneté, sur le respect de l’enfant, et son implication citoyenne. Il serait bon de recommencer ! Ce genre de manifestation participe de l’information nécessaire à la compréhension des enjeux, et de la formation de tout un chacun en vue d’élaborer des projets sur la participation des enfants à la vie de la cité.
En 2010, un grand projet national pour l’enfance et la jeunesse a été mis en place, « l’Appel de Bobigny ». A l’époque, il a été signé par Jean-Marc Ayrault, Gilles Retière… Un chapitre de cet appel concernait « la participation active des enfants, des jeunes et de leurs parents aux projets éducatifs ». Il préconisait que cette participation, dans tous les temps de l’enfant, soit promue, pensée et vécue, en lien et en harmonie avec la participation aux décisions familiales. Dans la même lignée, en 2014, à Rezé, s’est tenue une conférence sur les rythmes de l’enfant qui a repris ces préconisations. Il serait donc important d’établir le bilan de ce qui a été, ou non, mis en place.

En conclusion…

Mettre en place une organisation démocratique de la classe et de l’école qui respecte les droits de l’enfant est complexe et doit se faire progressivement. Elle implique une formation-action des adultes impliqués dans le processus de participation. La ville a son rôle à jouer…
En pariant sur les capacités de l’enfant, en leur permettant de donner leur avis au sein d’institutions démocratiques, en créant les conditions nécessaires, les enseignants peuvent permettre aux enfants de devenir des citoyens libres et autonomes. Cette action ne peut pleinement réussir que si elle est aussi mise en œuvre dans tous les temps de l’enfant : périscolaire, familles, institutions éducatives et de la ville, et appuyée par un engagement déterminé des pouvoirs publics.