Rezé Citoyenne en dialogue sur la démocratie participative avec Hervé Léon

Entretien avec Hervé Léon, sociologue, consultant auprès des collectivités et services de l’état. Rezéen.

En tant que sociologue, vous avez travaillé avec la Ville de Brest sur la question de la démocratie participative (DP) …

Oui, j’ai travaillé sur l’évaluation des conseils de quartiers, et accompagné la mise en place d’une charte sur la relation entre élus, services et conseils de quartier. Depuis longtemps déjà, nous faisons le constat que la démocratie représentative n’est plus suffisante et qu’elle tend à créer aujourd’hui plus qu’hier une distance, voire parfois même une défiance entre habitants et élus. La DP peut être un levier central, un pilier démocratique qui permet de redistribuer la parole, de partager un certain pouvoir et en définitive de renforcer la démocratie locale. Ainsi, elle peut l’enrichir et donner plus de légitimité aux élus.

Comment définiriez vous la place des différents acteurs de la ville , à savoir tout d’abord les élus et les services ?

Les élus sont les garants de l’intérêt général. Ils représentent le pouvoir de décision et d’arbitrage. Les services, eux, sont garants de la faisabilité technique, de la possibilité de la mise en œuvre des projets. La DP vient alors bousculer ces rôles traditionnels des services et des élus, les obligent à plus d’attention, d’écoute, d’échange et de pédagogie… La participation des habitants peut être ressentie par les élus comme un « contre pouvoir » et par les services comme de l’ingérence. Il apparaît alors nécessaire de faciliter ce rapprochement des liens entre élus, services et habitants par un accompagnement extérieur de la démarche de DP.

Sur quoi se fonde la légitimité du pôle habitants dans la DP ?

Plusieurs solutions techniques sont envisageables pour fonder les conseils de quartier :

  • Organiser des élections citoyennes dans divers territoires de la ville. Mais dans ce cas, retour à la case départ : nous retrouvons ici une certaine forme de démocratie représentative qui prend le risque de se poser en concurrente des élus.
  • Prendre comme base le volontariat. Ici, nous nous exposons à la limite de la représentativité … Forcément, les retraités seront plus disponibles que les jeunes actifs, il y aura sûrement plus d’hommes que de femmes, plus de gens issus des classes moyennes que de gens originaires des milieux populaires et les volontaires auront un profil marqué : la parole facile, un rôle déjà actif au sein de la ville. Nous nous heurtons dans ce cas au problème de l’adéquation entre représentation et représentativité de la réalité sociologique des quartiers.
  • Troisième cas de figure, sélectionner les habitants par tirage au sort, en mettant en place des quotas pour représenter l’ensemble du spectre sociologique des quartiers concernés. Mais ici se pose la question de la volonté de ces habitants de s’investir dans l’action publique. Une personne tirée au sort n’a pas nécessairement l’envie de participer… De plus la question de sa légitimité reste posée.
  • Ou bien encore, un mélange de tout ça ! Les formules sont variables, mais à chaque fois c’est la question de la reconnaissance et la légitimité des instances habitantes qui est au cœur du débat. Les différentes instances municipales ne pourront reconnaître la parole des habitants que sous la condition majeure qu’elle soit le résultat d’une parole collective et ce quelle que soit la structure de sa composition… ce qui contraint les habitants à prendre le temps du débat et à rechercher le consensus au plus prêt de l’intérêt général.

Par quels moyens alors l’implication citoyenne peut elle entrer en action ?

Il existe quatre moyens d’action :

  • Le « niveau 0 » correspond à un processus descendant qui concerne souvent des projets échappant au seul pouvoir local ( niveau communautaire par exemple) : il s’agit alors d’informer les habitants des tenants et aboutissants du projet avec la nécessité d’une approche transparente et pédagogique qui facilite leur acculturation à une démarche souvent complexe.
  • Le deuxième niveau est celui de la consultation : les élus et les services, sur un projet donné, peuvent se poser des questions pour lesquels ils n’ont pas de réponses, et attendent des conseils de quartier un point du vue autorisé ou des propositions argumentées. Pour cela, ils devront donner les moyens aux habitants de construire, étayer et rédiger leurs avis par un accès à l’information, à l’écoute de certains services et élus, à l’audition de certains acteurs ou experts…
  • Le troisième niveau est celui de la concertation. C’est un processus interactif. L’équipe municipale sera sur une démarche plus pragmatique : quand il n’y a pas de projet bien déterminé autour d’un sujet, d’une thématique ou d’un espace devant faire l’objet de projets à venir, elle pourra être en demande de collaboration, avec une vision ouverte sur la conception du projet. Celui-ci sera sujet à des ajustements successifs, nés de l’interactivité entre les différents acteurs que sont la collectivité, ses partenaires institutionnels et les habitants ou citoyens.
  • Enfin, le dernier niveau est celui de l’initiative citoyenne. Il s’agit dans ce cas d’un processus ascendant. Ce sont les habitants qui sont force de propositions de projets, d’actions, et qui vont chercher la collectivité pour faciliter leur mise en œuvre. La difficulté se situera essentiellement sur les critères de choix, la hiérarchisation et la légitimité de ces projets à l’égard de l’intérêt général.

Quels seraient les outils à mettre en place pour accompagner ce processus de transition démocratique ?

La première chose à faire est sans doute d’établir à l’échelle de la ville les territoires et les thématiques que l’on va reconnaître et rendre légitimes car porteurs d’enjeux stratégiques pour la collectivité. A cette échelle pourront alors naître ou renaître des conseils de quartiers ou des conseils thématiques.

Des moyens d’accompagnement du processus de démocratie participative devraient être envisagés pour faciliter sa mise en œuvre.

Ensuite il faudrait établir un diagnostic des projets qui seront directement concernés par la démocratie participative tant par territoire que par thématique. L’objectif étant alors de qualifier et sérier les différents projets en fonction des différents modes de participation identifiés plus haut.

Une instance de validation de ces projets composée d’élus et de services aurait pour fonction d’établir un cadre partagé des démarches participatives en cours et à venir.

Cette instance serait aussi une instance de réflexion et de débat sur les acquis et difficultés rencontrées dans la mise en œuvre du processus participatif. Elle aurait pour rôle de faciliter la mise en œuvre des projets, d’anticiper les incidences sur les services, d’être relais auprès des autres institutions. Sa fonction serait aussi de promouvoir un tel processus démocratique à l’échelle de l’agglomération.

Enfin, pour chaque projet identifié, des personnes référentes devraient être en capacité autour de celui-ci de fédérer, de transmettre et d’accompagner l’ensemble de sa mise en œuvre.A Brest, par exemple, ils ont mis en place pour chacun des projets des groupes référents constitués d’un élu, d’une personne des services et d’un membre du conseil de quartier.

Pour finir, nous pouvons évoquer la question de l’évaluation…

L’évaluation des actions menées dans le cadre de la DP devrait être menée de manière indépendante. Cette commission serait forcément adoubée par l’équipe municipale, qui mettrait des moyens à sa disposition. C’est une instance tiers qui aurait pour rôle de mettre en débat les résultats et pourrait ainsi impliquer les différents pôles engagés dans la construction de la DP. La collectivité pourrait alors s’engager à prendre les résultats comme base d’amélioration du processus démocratique sur son territoire.