120 ans de la loi de 1905 : une boussole toujours actuelle

Au-delà de son cadre juridique, cette loi a permis d’imaginer une société capable d’accueillir toutes les croyances… sans en privilégier aucune.
Jean Jaurès, qui participa activement à son élaboration, en résumait l’esprit ainsi : “La loi de séparation n’est pas une loi de combat, c’est une loi de paix. Elle ne lèse aucune conscience, elle ne froisse aucune foi, elle n’est partiale contre aucune croyance.”
Il faut également rappeler le rôle décisif d’Aristide Briand, député nantais et rapporteur du texte, dont la finesse politique et la recherche constante d’un compromis d’apaisement ont permis de faire émerger une loi qui protège tout en apaisant.
Pour saisir la force de cette loi, rien de tel que de revivre les débats d’alors. Le film documentaire-fiction « La Séparation », réalisé par François Hanss, nous plonge dans l’ambiance électrique de 1905. À travers les discours enflammés de Briand, Jaurès ou des députés catholiques et anticléricaux, on y retrouve la vigueur des échanges, les compromis arrachés de haute lutte et la vision politique qui ont façonné ce texte historique. Aujourd’hui encore, ce film sert de support dans de nombreuses écoles et associations pour nourrir la réflexion citoyenne.
La loi de 1905 repose sur trois principes simples, mais essentiels :
- La liberté de conscience : chacun est libre de croire… ou de ne pas croire.
- La neutralité de l’État : “La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte.”
- L’égalité : aucune religion ne bénéficie d’un traitement particulier.
Ces fondements dessinent un espace où la foi relève strictement de l’intime et où l’action publique s’adresse à toutes et tous sans distinction. C’est pourquoi la loi de 1905 doit être comprise avant tout comme une loi de liberté, d’équilibre et d’apaisement, permettant à chacun·e de vivre librement aux côtés des autres.
Une exception historique : le régime concordataire
Il existe pourtant une singularité : l’Alsace-Moselle. Lorsque la loi fut adoptée, ces territoires étaient annexés à l’Allemagne. Au moment de leur retour à la France en 1918, le régime concordataire de 1801 y a été maintenu pour des raisons politiques et locales. Quatre cultes y sont toujours reconnus et financés par l’État, les ministres du culte sont rémunérés sur fonds publics et l’enseignement religieux reste inscrit dans les programmes scolaires.
Et l’Alsace-Moselle n’est pas la seule exception. D’autres territoires français relèvent également de régimes spécifiques : en Guyane, l’Église catholique demeure un culte reconnu financé par l’État ; en Polynésie française, Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon, des textes locaux remplacent ou complètent la loi de 1905. Ces héritages institutionnels rappellent que l’application du principe de laïcité varie encore selon les territoires, au gré de l’histoire et du droit.
Cette situation crée aujourd’hui encore une différence de traitement entre territoires qui interroge la cohérence nationale du principe de laïcité. Elle entre aussi en contradiction avec le principe d’une République « une et indivisible » (article 1 de notre constitution), en instaurant durablement un régime juridique spécifique dans une partie du pays.
Quand la laïcité est dévoyée
Avec le temps, la laïcité a été parfois mal comprise… ou volontairement dévoyée. Certaines collectivités ont appris à contourner l’interdiction de subventionner les cultes en finançant des structures religieuses par des biais détournés. D’autres l’ont transformée en instrument de suspicion, visant certaines populations plutôt qu’en principe universel d’émancipation.
À cela s’est ajoutée la fameuse notion de « laïcité positive », popularisée à la fin des années 2000. Présentée comme une modernisation, elle a surtout brouillé les repères de la loi de 1905 en valorisant le rôle public des religions, au risque d’affaiblir la neutralité de l’État. Ce glissement progressif a contribué à transformer un cadre commun en outil identitaire ou communautariste.
Depuis la loi Debré de 1959, l’enseignement privé sous contrat — majoritairement confessionnel — bénéficie d’un financement public important et durable, évalué aujourd’hui entre 10 et 12 milliards d’euros par an. Si la loi autorise les collectivités à contribuer aux dépenses de fonctionnement, la pratique va souvent bien au-delà : subventions indirectes, investissements pris en charge, aides facultatives peu contrôlées. Le manque de transparence est notable, les contrôles rares, et plusieurs affaires récentes ont révélé des irrégularités. Dans un contexte où l’école publique fait face à de fortes tensions budgétaires, ces dérives créent une rupture silencieuse avec l’esprit de la loi de 1905, qui sépare et neutralise les cultes, et interrogent la cohérence d’un système qui favorise largement des structures privées confessionnelles
À Rezé, une laïcité vivante et incarnée
Ici, à Rezé, la laïcité n’est pas qu’un mot gravé dans un texte de loi ou une date à commémorer. Elle est vécue, transmise et partagée. Elle prend corps dans l’action quotidienne des amicales laïques, de la FAL 44, des associations d’éducation populaire, des enseignant·es et de nombreux acteurs locaux. Ateliers, événements culturels, actions pédagogiques dans les écoles ou les quartiers : c’est tout un tissu vivant qui la fait exister.
La mémoire locale joue aussi un rôle fort. Celle de Jean-Baptiste Daviais, enfant de Rezé, militant laïque et social, résistant mort en déportation à Dachau le 6 janvier 1945, continue d’inspirer. Des balades laïques et des temps commémoratifs rappellent son engagement pour une République émancipatrice.
Célébrer les 120 ans de la loi de 1905, ce n’est donc pas regarder le passé avec nostalgie. C’est affirmer la force d’un choix collectif qui permet à chacun de vivre librement dans un espace commun. Dans un contexte où les replis identitaires se renforcent et où certains cherchent à détourner la laïcité pour opposer plutôt que pour rassembler, cette loi reste une boussole indispensable.